c'est bon de lire parfois
Hier soir, je me suis dis "tiens, et si je lisais un peu de bandes dessinées? Ca me changerait, au lieu de regarder "vis ma vie" ou "c'est mon choix" , ça pourrait être intéressant!".
J'extrayais alors mon corps lourd du profond fauteuil Louis XIV qui, depuis que j'ai des enfants, me sert de refuge contre les tempêtes domestiques, les cris, les pleurs, les vomis, et que l'on nomme à juste titre "le fauteuil de papa que quand il est assis dedans, il faut pas le déranger".
Bon.
Le moment difficile, ça a été de choisir. Il faut dire qu'outre ceux que j'achète moi-même, souvent, on m'en envoit plein, des livres! Je suis un privilégié. Un nanti. Des bandes dessinées, j'en ai en veux-tu en voilà, des tas, des tonnes! Et encore, je ne suis pas journaliste! J'ose à peine imaginer! Je dis donc "merci" aux éditeurs qui le font sans que je leur demande rien, ainsi que certains auteurs. Mais le revers de la médaille, c'est que devant tant de choix, je me retrouve tétanisé... Pourquoi lire celui-ci plus qu'un autre?
Je résolus alors de me fier à mon instinct. Eh bin vous me croirez si vous le voulez, mon instinct a fait fort!
J'aimais déjà beaucoup le dessins de Nikola Witko dans "Muerto Kid". J'avais donc acheté " le gros lot" les yeux fermés en me disant que, si l'histoire était chiante, j'aurai qu'à me régaler du dessin. Eh bin pas du tout! L'histoire est vachement bien! la construction de l'histoire est ce que j'appelle "une fuite en avant", c'est à dire que le personnage central se laisse balotter par les évènements, réagissant au coup par coup, sans stratégie ni réelles intentions, et ça peut le mener jusqu'au bout du monde! Un peu comme dans les films des frères Cohen... Ca lui donne une personnalité assez véridique, loin des poncifs habituels. C'est assez jouissif de le suivre dans ses gesticulations un peu stériles pour se donner une contenance face aux évènements... Bref, cette histoire m'a happé par son côté aventurier, un peu ce que j'aimais quand j'étais môme, mais avec un humour parfaitement moderne et adulte. Un mélange passionnant parce qu'à part Winschluss et Cizo, ça n'a pas été tellement fait. Et puis le tout est servi par un dessin incroyable! Un savant mélange d'influences américaines, avec un trait parfois crade, parfois extrèmement élégant... Bref, je trouve ça assez inédit et j'ai vraiment passé un super moment.
Rha! Le premier tome de la Marie en plastique m'avait scotché. Donc je dois avouer que je savourais le second, avant même de le lire. Je me réjouissais à l'avance! C'est ça que c'est aussi, un bon livre, le plaisir de l'avoir sous la main, d'attendre le moment propice pour se plonger dedans, seul de préférence, sans cris, sans pleurs, sans vomi...
Plus j'avance en âge, plus j'aime les histoires qui racontent leur temps. Je me lasse assez vite, dorénavant des bandes dessinées de genre, même quand elles sont réussies, pour me rapprocher de celles qui se contentent, sans artifices, sans rebondissements ni effets spéciaux, de raconter les gens au plus juste. Là, donc, c'est exactement ça. C'est une histoire magnifique parce qu'elle rappelle celles qu'on entend à droite à gauche dans les épiceries des petits villages... c'est un monde cohérent, pas méprisant, ce qui est rare, et surtout, avec des personnages qui ont de la consistance. Ce sont des gens pétris de vérité. Rabaté écrit des choses en prise avec le réel, mais il le fait avec une telle imagination qu'à aucun moment je ne me suis arrêté pour me demander si tout ça tenait bien debout, si c'était "possible"... Tout est possible quand les personnages sont si réels. Quel talent. Et quel humour! Et puis David Prudhomme est incroyable aussi! On dirait qu'il renonce au style, à l'élégance, pour ne montrer que l'essentiel, ce qui fera que ses personnages, on les reconnaitra comme des voisins. Là encore il ne flatte pas le lecteur dans le sens du poil, il ne va pas faire de l'esbrouffe comme beaucoup d'entre nous en avons malheureusement pris l'habitude, même parmi les plus géniaux! On dirait qu'il met en arrière ses ambitions personnelles, ses facilités, pour donner le dessin qui servira au plus près l'histoire. Bon, en résumé: "c'est super bien, lisez-le si vous avez quelque argent et surtout une heure de calme absolu". C'est le genre de livre qu'il serait inconvenant de saborder par une lecture superficielle; c'est un bijou.
Ah tiens, puisque j'y pense, j'ai lu des choses vibrantes d'incompétence (C'est de Desproges, ça... Quel talent pour choisir les mots, lui, aussi!) sur le premier tome de "la Marie", de ci de là, dans des articles de presse ou des chroniques Internet... Et vas-y que la couverture est pas belle, et vas-y qu'on n'y croit pas, et vas-y que le dessin est trop ceci ou pas assez cela... Qu'il me soit permi de manifester ici et ce, sans plus de retenue, tout le mépris que je porte à ces lecteurs au front bas, incapable de voir un trésor quand il leur passe sous le nez, renaclant au moindre effort, reclus dans leurs habitudes, ébahis par la nouveauté... C'est bien simple, tiens, je les maudis, ainsi que leur descendance sur... disons... mmh... 9 générations! Voilà. Fallait pas m'embêter.