jeudi 2 août 2007

lettre ouverte à mes amis à deux roues



Cycliste, mon semblable, mon frère...

J'ai suivi de loin en loin, au rythme des scandales, l'épopée de tes coreligionnaires professionnels du tour de France pendant mes vacances dans la propriété familiale d'Ibiza. Et je le dis à peu près comme je le pense: j'ai bouilli de colère! Oh, pas à ton encontre, cycliste, mon semblable, mon frère, non... mais vis à vis de "
la meute des honnêtes gens", comme disaient "les rats(*)".

Du plus loin qu'il me souvienne, l'intérêt de voir des types aux jambes rasées monter et descendre des côtes avec une obstination et un acharnement proches de la névrose m'a toujours semble surévalué. Je n'ai jamais compris les stratégies complexes qui président aux victoires, et n'ai jamais entravé quoi que ce fut aux techniques mystérieuses de ce sport, pourtant largement explicitées par des commentateurs apoplectiques télévisuels... Bref, le vélo, je m'en fous. Enfin, "je m'en foutais"... Parce qu'aujourd'hui, ça me passionne.

Il y a quelques chose d'exemplaire de l'époque moralisatrice et bien pensante que nous subissons, dans la manière dont on rend compte de tes turpitudes, cycliste, mon semblable, mon frère.
Il y a une extraordinaire hypocrisie à désigner à la foule, le bandit, le tricheur, le sale type qu'il conviendra de lyncher parce que c'est dans l'air du temps et que ça défoule.

Mais en vérité je te le dis, qui aura le cran de se dire meilleur que toi, cycliste, mon semblable, mon frère? Qui aura le brave courage de te jeter la première pierre en travers de la gueule?


Les journalistes sportifs? Oui, bien sûr...
Ces apôtres de la facilité, de la pauvreté d'esprit et du manichéisme qu'on retrouve tous les soirs aux bars des hôtels provinciaux, beurrés comme des palets Roudor, à débiter des leçons de morale du siècle dernier, apprises par coeur dont, au final, ils ne seront pas plus capables d'appliquer pour eux même les principes que toi ou moi. Ah ils sont légitimes, tiens, les journalistes de l'Equipe ou du Monde (pour ne citer que les plus vendus), avec leurs fatwas plumitives et leurs jihads anti dopage! De belles âmes, immaculées à n'en pas douter, qui passent leur temps à expliquer au peuple, à l'Autre, qu'ils méprisent par ailleurs souverainement, ce qu'il convient de penser quand on a de la vertu...

Mais quelle vertue?
Celle qui consiste à chercher la plus petite faille dans laquelle on pourra s'engouffrer pour détruire l'ennemi sans qui, pourtant, on ne serait rien, de la même manière qu'on force le cerf entre gens de bonne compagnie en forêt de Fonstaynebleau sur Mescouiyes? Ou bien celle qui consiste à tout publier, même les pires ragots, quitte à expliquer ensuite, contrit et forcé devant le poids de l'exactitude révélée, que, malheureusement, le pauvre journaliste est tributaire de l'honnêteté de l'ennemi dans sa quête romantique de vérité? La vertue? Comme s'ils étaient le dernier remparts contre la décadence qu'ils ont eux même engendrée! La civilisation contre la barbarie! Quelle arrogance et, ce qui est plus inquiétant, quel manque d'honnêteté intellectuelle!
Ils ne font que te pister, cycliste, mon semblable, mon frère, ils ne sont jamais devant, ces ânes.


Le sacro saint
public? oui, aussi...
Prêt à toutes les compromissions au quotidien, mais qui espère de ses héros la blancheur éclatante de la lessive sponsor. C'est ça, "la meute des honnêtes gens", écœurante d'hypocrisie et de bonne conscience, sûre de son fait, feignant d'ignorer qu'elle pourrit inévitablement tout ce qu'elle idolâtre!
Je lisais il y a quelques mois de cela, en mon manoir des Emirats Arabes Unis, un rapport sur la progression de la cocaïne et des amphétamines chez les cadres des PME... Affolant, c'était! Et ces mêmes types de disserter sans honte, après une journée sous speed, du véritable scandale de ces tricheurs à roulettes le soir venu, entre le fromage sous cellophane et la poire pasteurisée! Nonmého, comme dirait ma femme!

N'oublions pas, bien sûr, dans cette molle diatribe désespérées, le petit peuple, les humbles! Alcooliques ordinaires pour tenter de repousser si possible aux calendes grecques, le moment fatidique de se coller une balle dans le lobe frontal. Ici non plus, on manque pas de courage pour fustiger le tricheur, le félon, le salaud, au comptoir de "chez Francisque". Ca veut des surhommes, du spectacle, de l'exploit quotidien... ça veut tout ça et ça a le pauvre toupet de s'offusquer qu'on fasse le maximum pour les satisfaire! Le moralisme à peu de frais, l'éthique à géométrie variable, ça s'étale aussi bien au zinc du rade de Bourray sur Pisnard qu'aux bureaux en bois précieux de France Télévision!

Qui aura le toupet de te jeter la première pierre, cycliste, mon semblable, mon frère?

Moi? Ah ah ah! je... ah ah ah! Je m'étouffe!
Allons allons, soyons sérieux! Moi qui suis chargé comme un camion des Déménageurs Bretons (tm), au cannabis, aux anxiolithiques et aux antidépresseurs depuis plus de vingt ans? J'aurais pas l'air con, tiens, de te faire grief de quelques produits après avoir moi même ingurgité en une soirée de quoi me faire rayer à vie de tout évènement sportif, même communal!

Alors, tout ça, là, ces histoires de haines faciles, de lynchage de bistrot, d'opprobre de masse, de morale frelatée, où la véritable honnêteté serait de consentir à l'Autre l'indulgence qu'on s'accorde si généreusement à soi même, j'aime autant te dire, cycliste, mon semblable, mon frère, que ça me donne bien envie d'essayer l'héroïne!

Cycliste, mon semblable, mon frère...
Il y a quelques années, en regardant "histoires naturelles" dans un état semi comateux, je me souviens m'être justement dit que, décidément, j'avais une tendance naturelle à préférer le renard à la meute.





(*)
"les Rats": Groupe de rock français des années 80/90 dont on peut dire sans salir leur mémoire qu'ils n'étaient pas, eux non plus, les derniers pour le dopage.